Dans les médias euro-béats de toute obédience[1], le Brexit est vilipendé et serait la source de tous les maux du Royaume-Uni. Malgré tout, le 31 janvier 2020, les Britanniques ont repris le Graal qui leur permettrait de reconquérir tous les autres : leur souveraineté.
Faisons le point sur quelques idées reçues.
1)
Le Royaume-Uni s'enliserait dans une crise économique.
En 2021, une croissance record de 7,5% est enregistrée et
septembre 2023, l'ONS (Office for National Statistics[2])
indique que le PIB du Royaume-Uni est 0,6% au-dessus de son niveau
pré-pandémie. Avec 7,5% de croissance en 2021, le Royaume-Uni se place ainsi
parmi les pays les plus performants du G7, derrière les États-Unis et le
Canada, mais devant l’Italie, la France et l’Allemagne.
2)
Les échanges internationaux seraient défavorables au
Royaume-Uni.
L'accord commercial avec l'UE voté le 24 décembre 2020
entre en vigueur après sa ratification par le Parlement européen le 27 avril
2021, ce qui normalise les échanges internationaux. Le commerce entre la France
et le Royaume-Uni demeure stable avant et après Brexit[3]
et les voisins européens restent naturellement des partenaires commerciaux
majeurs (secteurs automobile, agricole, aéronautique, pharmaceutique, luxe).
Pour entériner la stratégie "Global Britain",
les Britanniques ont conclu en mai 2023 un accord de libre-échange avec
l'Australie ; relation qui leur était interdite depuis l'entrée dans le marché
commun en 1973. D'autre part, l'adhésion britannique au partenariat de
libre-échange trans-pacifique (CPTPP) a été entérinée en juillet 2023. Celui-ci
compte 11 pays dont le Japon, la Nouvelle-Zélande, l'Australie, le Canada, le
Chili, la Malaisie, le Mexique, Singapour.
Les négociations avec le gouvernement américain sont
gelées mais le Royaume-Uni s'affaire à signer directement des accords de libre
échange avec les États. A ce jour[4],
le Royaume-Uni a déjà signé des accords avec huit États, soit près de 25% de
l'ensemble de l'économie américaine.
3)
Le Royaume-Uni n'a pas su faire face à la crise du
Covid-19 ?
C'est en partie vrai. Le Royaume-Uni, comme les services
hospitaliers des autres pays européens, a dû faire face à des pénuries
multiples en personnels (docteurs, infirmiers), matériel médical et
médicaments. Les causes sont multiples : coupes budgétaires drastiques dans les
hôpitaux publics[5]
(National Health Service), baisse des indemnités à une population pauvre déjà
très précarisée et gestion du dépistage du Covid par des entreprises privées
incompétentes[6].
Le Brexit n'est pas responsable de l'impéritie du gouvernement et du rôle
dévastateur du désengagement de l’État au profit de l'idéologie du marché tout
puissant faisant fi de l'humain. Le taux de mortalité a été notoirement élevé
au Royaume-Uni[7] en
2020-2021.
Il faut par contre noter qu'en collaboration avec la
Suède, le Royaume-Uni a réussi à mettre au point le vaccin AstraZeneca et a
massivement incité la population à se faire vacciner très tôt. Ainsi, le Brexit
n'a pas tari la coopération entre les nations.
4)
L'UE protégerait les droits des salariés face à un
Royaume-Uni peu protecteur socialement. Comme le dépeint très crûment
le film Moi, Daniel Blake (2016) de Ken Loach, le Royaume-Uni de
Thatcher jusqu'à nos jours n'est pas un modèle d’État social: entre 1960 et
2002, la population britannique touchant des revenus inférieurs à la moitié du
revenu moyen est passée de 11% à 23% ! L'écart des revenus entre les plus
pauvres et les plus riches n'a pas cessé de se creuser pour atteindre des
situations comparables à l'époque victorienne. La réorientation des emplois
industriels qualifiés vers des emplois de services, l'auto-entrepreneuriat et
les contrats "zéro heure" favorisent des emplois précaires : 38% des
bénéficiaires d'aides sociales avaient un emploi en 2023.[8]
Dès avril 2024, face à une inflation galopante[9]
le salaire minimum sera revu à la hausse[10]
de 9,7%. Un revirement historique des Tories en lieu et place du dogme de la
non intervention de l’État. Pourquoi cela ?
Pendant de longues années, le Royaume-Uni a rejeté toute
UE sociale et parallèlement encouragé le dumping social par l'élargissement aux
pays d'Europe de l'Est à la main-d’œuvre à bas coût, comme par exemple dans le
transport routier[11].
Aujourd'hui la pénurie de main-d’œuvre au Royaume-Uni est finalement riche
d’enseignement pour l’UE et ses États membres, car sans le Brexit, le sujet de
la revalorisation salariale et de la relocalisation de certains emplois se
serait-il posé ?
5)
Le secteur agricole était protégé par l'UE, après le
Brexit les agriculteurs britanniques seraient en difficulté.
Une grande partie des propriétaires terriens et des
agriculteurs bénéficiaient de subventions de l'UE, la fameuse Politique
Agricole Commune (PAC). Or, le système de la PAC a été dénoncé pour plusieurs
raisons au premier rang desquelles l'encouragement de l'agriculture intensive
peu respectueuse de l'environnement et de l'agro-business[12]
au détriment des exploitations à taille humaine.
Depuis sa sortie de l'UE, le gouvernement britannique
s'est fixé de promouvoir une agriculture écologique et qui assure la sécurité
alimentaire du pays avec comme objectif de produire 60% des denrées
alimentaires consommées dans le pays. Cependant, le talon d’Achille de ce
projet réside précisément dans les accords de libre-échange[13]
conclus avec l’Australie et la Nouvelle-Zélande entre autres. Ces accords
prévoient une exonération totale des droits de douane sans limiter le nombre de
marchandises que ces deux pays pourront exporter vers le Royaume-Uni, aussi
bien pour la viande comme le bœuf ou l'agneau que pour les produits laitiers.
La concurrence induite se fera au profit des produits australiens et
néo-zélandais moins chers du fait d’un élevage plus industriel aux normes
sanitaires plus souples, sans compter la pollution liée au transport.
Antoine Bourge
03/04/2024
[1]https://theweek.com/articles/789638/looming-brexit-catastrophe ou encore https://www.contrepoints.org/2016/06/26/258146-brexit-une-catastrophe
[2]Équivalent
britannique de l'INSEE.
[4]https://www.zonebourse.com/actualite-bourse/La-Grande-Bretagne-signe-avec-le-Texas-le-plus-grand-pacte-commercial-jamais-conclu-au-niveau-d-un--46155432/
[5]"Les nations avec les décès
en excès les plus importants pendant la période de l’étude sont ceux qui ont
connu des investissements inférieurs dans leurs systèmes de santé. Par exemple,
l’Autriche, qui a déploré très peu de décès toutes causes, possède presque
trois fois plus de lits d’hôpital par habitant que le Royaume-Uni." https://www.ined.fr/fr/tout-savoir-population/memos-demo/focus/covid-19-la-france-au-8eme-rang-parmi-21-pays-industrialises-en-termes-de-bilan-de-mortalite/
[6]En octobre 2020, Boris Johnson a
déclaré qu’était venu « le moment où l’État doit prendre du recul et
laisser le secteur privé prendre les choses en main ».
[7]L’Angleterre & Pays de Galles
et l’Espagne ont connu l’impact le plus important : environ 100 décès pour 100
000 habitants, soit l’équivalent d’une augmentation relative des décès de 37 %
en Angleterre & Pays de Galles, et 38 % des décès en Espagne. Source :
Ined.
[8]Lire le rapport "La pauvreté
et l'exclusion sociale en Grande-Bretagne" – Insee (2005).
[9]10,4%
sur un an (février 2022-février 2023).
[10]https://www.lefigaro.fr/conjoncture/le-royaume-uni-augmente-le-salaire-minimum-de-9-7-du-jamais-vu-20230331
[11]https://www.lemonde.fr/economie/article/2021/08/25/logistique-hotellerie-batiment-a-travers-l-europe-la-grande-penurie-de-main-d-uvre_6092263_3234.html
[12]Un milliardaire saoudien aurait
perçu, en 2016, pour plus de 400’000 £ de subventions européennes pour son
élevage de chevaux de course au Royaume-Uni.
[14]89% sont en
faveur d'une réforme des institutions afin de favoriser le développement de la
démocratie locale. Rapport complet sur https://www.ippr.org/articles/talking-politics-building-support-for-democratic-reform
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